Parcours d'une crevette Rimicaris
Les milieux extrêmes profonds sont des écosystèmes privés de lumière, où les micro-organismes chimiosynthétiques sont les principaux producteurs primaires, utilisant la chimie des systèmes hydrothermaux à la place de la lumière en surface. La faune peut alors soit les ingérer, soit établir des associations symbiotiques avec eux. L’établissement de symbioses entre les invertébrés et les micro-organismes permet la colonisation de nouveaux environnements a priori hostiles pour la faune.
Le modèle animal principalement étudié au laboratoire LM2E est une crevette hydrothermale, Rimicaris exoculata découverte en 1986. Cette crevette forme des agrégats très mobiles et denses (jusque 2500 individus au m2) sur la paroi des cheminées actives de la ride médio-Atlantique.
La cavité céphalothoracique des adultes est élargie et presque close, emprisonnant des pièces masticatrices réduites. Certaines pièces buccales présentent une hypertrophie caractéristique, ainsi que de nombreuses soies, sur lesquelles sont observées d’abondantes populations de bactéries filamenteuses épibiontes.
Ces évolutions anatomiques ont été interprétées comme étant une sorte de ‘chambre de culture’ pour les micro-organismes, micro-organismes dont la crevette pourrait alors se nourrir. Les résultats récents indiquent la présence d’une diversité relativement importante et plusieurs métabolismes possible permettant à l’ensemble crevette + communautés microbiennes de coloniser divers environnements de la ride médio-Atlantique. Cette crevette dont le système digestif est réduit mange en fait principalement par la tête par transfert depuis ses bactéries symbiotiques.
Rimicaris chacei, autrefois nommée Chorocaris chacei est une autre crevette hydrothermale qui vit en petits groupes d’individus autour des agrégats de Rimicaris exoculata.
Sa tête est moins hypertrophie mais elle présente aussi des bactéries filamenteuses à l’intérieur de son céphalothorax. Par contre son estomac est moins réduit et elle semble avoir un régime alimentaire mixte : symbiose et prédation. Aujourd’hui cette espèce est moins étudiée car peu représentée sur les sites.
Au cours de la campagne HERMINE 2017 nous avons plusieurs objectifs concernant les études des symbioses chez les crevettes hydrothermales :
- compléter les informations sur les lieux et mode de vie des deux espèces au cours de l’année calendaire ;
- étudier la reproduction chez ces espèces et de rechercher des lieux de vie des différents stades de vie : juvéniles, juvéniles recrutés avec les adultes et adultes ;
- étudier la dispersion chez ces espèces et leur capacité à passer d’un site hydrothermal à un autre en s’appuyant sur des données récentes d’exploration et de recherche de nouveaux sites relais.
Notre travail à bord a consisté à :
- Déployer la pompe autonome SALSA pour filtrer de grands volumes d’eau à la recherche de larves libres ;
- Déployer des pièges à particules sur quelques jours et sur 1 an ; pièges qui permettent de récolter les particules émises par le panache qu’elles soient minérales ou animales (larves) ;
- Observer in situ les agrégats de crevettes et nurseries dans les différents sites ;
- Récolter des spécimens qui ont été mesurés, sexés, et préparés pour des observations futures de biologie et de microbiologie.
Ces données sont d’importance afin de mieux appréhender le mode de vie et la capacité reproductive et de dispersion dans un contexte de pression anthropique grandissante.