Interactions eau de mer-manteau : un cocktail de molécules propices à l’apparition de la vie?
Quatre questions fondamentales continuent d’exciter la curiosité de l’homme : l’origine de l’univers, l’origine de la vie, l’apparition de l’homme et enfin celle de la conscience.
La question de l’origine de la vie sur terre, en l’absence de toute trace fossile des étapes successives qui s’y sont déroulées, ne peut être abordée que de manière indirecte.
- L’approche la plus ancienne, et toujours d’actualité, est celle qui consiste à analyser les conditions ayant prévalu sur la Terre primitive afin de tenter de reconstituer les scénarios ayant permis l’émergence de la vie.
- La seconde, ouverte depuis le développement de la paléontologie, puis la formulation de la théorie de l’évolution et surtout depuis l’apparition de la biologie moléculaire, consiste à essayer de « remonter » dans le temps pour caractériser les premiers systèmes vivants (ou dernier ancêtre universel commun, « LUCA » en anglais).
Il est facile de voir que les deux démarches sont complémentaires, chacune essayant d’apporter sa contribution pour progressivement combler le vide, ou limiter l’ignorance, qui sépare la transition du minéral au vivant.
La question de l’origine de la vie est indissociable du débat sur la nature même de la vie. Les scientifiques ont longtemps débattu de ce qui caractérise la vie, de son essence, et ce débat donne encore lieu à de vives controverses. Un consensus semble toutefois se dégager sur une base minimale qui serait « un système constitué de biomolécules capable de se répliquer et d’évoluer ».
Très schématiquement, les étapes principales pour y parvenir pourraient avoir été les suivantes :
- existence de conditions pré-biotiques ayant permis la synthèse, dite abiotique, de molécules organiques à partir de matière minérale uniquement. En particulier, les acides aminés, les précurseurs des constituants de l’ARN et de l’ADN, et les lipides qui seront à la base des membranes des cellules vivantes ;
- organisation des molécules en système autoréplicatif ;
- mise en place d’un processus de sélection, à la base de l’évolution ultérieure.
Quelles sont les molécules primitives ayant permis la constitution du registre initial de biomolécules impliquées dans un système vivant ? En quoi les sources hydrothermales océaniques profondes peuvent-elles apporter une contribution décisive à ce débat ? C’est que nous allons maintenant examiner.
Depuis leur découverte au début des années 1970, ces environnements ont suscité la curiosité de nombreux scientifiques.
Dès 1980, la possibilité de synthèse abiotique dans ces milieux fut suggérée par Corliss, puis soutenue par Holm, Shock et Simoneit entre 1992 et 1995.
En 1993 de nouveaux systèmes hydrothermaux, dit mantelliques, furent découverts et la composition chimique de leurs fluides hydrothermaux suscita un intérêt majeur. En effet, ils ont la particularité d’exposer directement les roches du manteau à l’océan. Ainsi l’eau de mer pénètre dans les failles puis circule, altère les péridotites qui composent en majeure partie le manteau et retourne finalement à l’océan par des cheminées, sous forme de « fluide hydrothermal ».
Le processus d’altération des péridotites est connu sous le nom de serpentinisation. Ce qu’il faut en retenir est qu’il génère une grande quantité de dihydrogène (H2), source d’énergie potentielle pour d’autres réactions chimiques et responsable des conditions ultra-basiques observées. De plus il existe, dans ces systèmes, différentes sources de carbone, sous des formes variées, comme le dioxyde de carbone (CO2 gaz). Ainsi les 2 éléments (H et C) nécessaires à la formation de molécules organiques sont présents à 350°C environ et plus de 4 000 m de profondeur ! On explique, par exemple, les fortes concentrations en méthane (CH4) relevées sur ces sites par la réduction du CO2 par l’hydrogène. Cette réaction abiogénique est une réaction catalytique de type Fischer-Tropsh qui est sans doute à l’origine de la formation des composés organiques détectés dans les fluides hydrothermaux à ce jour.
Ensuite se pose la question de la stabilité des molécules pré-biotiques dans les conditions hydrothermales de serpentinisation (de 50 à 200°C, haute pression !).
Le comportement chimique des molécules dans le fluide supercritique (haute pression et température) est encore mal connu pour cause de manque de données thermodynamiques et de la difficulté de recréer de telles conditions en laboratoire. Ainsi il est difficile de soutenir qu’une réaction impossible dans des conditions ambiantes ne sera pas au contraire favorisée dans l’eau supercritique. D’autant plus que de nombreuses molécules organiques ont déjà été mises en évidence dans les fluides hydrothermaux ! L’ultra-basicité des fluides hydrothermaux (pH~12 trouvé dans les fluides de Lost City à 33°N - ride médio-atlantique) est un autre facteur limitant, a priori, la stabilité. Pourtant il a été montré récemment que le bore (dans le Pyrex, utilisation pour effets pyrotechniques…), en conditions fortement réductrices, stabilise les sucres jusqu'à plusieurs mois contre quelques minutes en l’absence bore!
Enfin si l’on considère que les molécules pré-biotiques sont stables, la plupart des macromolécules caractéristiques d’une organisation cellulaire sont dégradées dans les conditions qui prévalent dans un fluide hydrothermal pur issu de la serpentinisation, démontrant que le « réacteur » où se serait effectué le processus conduisant à l’émergence de la vie ne peut être celui là même où sont apparues les molécules pré-biotiques. Cependant, les conditions extrêmement variées, de température, de pression, de composition de fluides au niveau des évents pourraient avoir constitué un environnement favorable à l’émergence de la vie, reposant notamment sur les molécules pré-biotiques dont la synthèse serait initiée par la réaction de serpentinisation.
En conclusion, aussi hostiles que puissent paraître les environnements hydrothermaux avec leurs température et pression extrêmement élevées, leurs fortes concentrations en soufre, hydrogène…, l’absence d’oxygène et de lumière, la formation de molécules pré-biotiques semble plus que plausible. Plusieurs familles de composés, notamment les hydrocarbures aliphatiques, aromatiques et polyaromatiques ainsi que les acides gras, ont déjà été mises en évidence dans les fluides (Konn et al., Chemical geology, 2009). Certaines pourraient directement avoir eu un rôle dans le développement de la vie. Il reste maintenant à expliquer leur provenance et leur mode de formation. La mesure des rapports isotopique de carbone a été effectuée sur les échantillons de serpentine mais les résultats ne permettent pas de conclure. Ils reflète tout simplement la trop grande complexité des processus mis en jeu. Une approche complémentaire consistant en la dégradation de biomasse issu des systèmes hydrothermaux a permis d'avancer dans cette réflexion (Konn et al., Geobiology, 2010). Une partie des hydrocarbures linéaires seraient abiogénique alors qu'une partie des hydrocarbures aromatiques et acides gras auraient une origine mixe biogénique et thermogénique (dégradation thermique de matière organique).