Fluides hydrothermaux océaniques
D’où proviennent les fluides hydrothermaux ?
La circulation hydrothermale se produit le long des dorsales médioocéaniques (chaîne volcanique continue qui s’étend sur environ 60.000 kilomètres) lorsque l’eau de mer s’infiltre au travers de la croûte océanique fracturée. Cette structure perméable de la croûte océanique associée à la présence d’une source de chaleur profonde (la chambre magmatique) va engendrer la circulation hydrothermale de l’eau de mer au travers du substratum (base sur laquelle repose une formation géologique ou des alluvions, c’est à dire des sédiments).
Le processus de circulation hydrothermale se décompose en trois étapes :
- L’eau froide qui pénètre dans la croûte (phase de recharge), est progressivement réchauffée. Les échanges avec la roche commencent avec des modifications de la composition chimique. Alors que le fluide s’appauvrit en magnésium et sulfate, il s’enrichit en hydrogène sulfuré.
- Le fluide atteint ensuite sa température maximum au niveau de la zone de réaction de haute température, proche de 1100°C. A ces conditions, la composition du fluide est fortement influencée par la température, la pression, le rapport eau/roche, la nature de la roche attaquée et le temps de réaction.
- Le fluide de haute température remonte ensuite très rapidement en continuant à interagir avec la roche. Du fait de la diminution de pression, le fluide se refroidit lentement par conduction et par mélange avec l’eau de mer, plus froide à proximité de la surface, ce qui influence également la composition finale du fluide.
Bien que d’apparence similaire, les fluides hydrothermaux couvrent une large gamme de températures et se caractérisent par des compositions chimiques variées, fonction des conditions de réaction proches de la surface.
Prélèvements de fluides avec une bouteille titane
Serpentine 2007
Pourquoi étudier les fluides hydrothermaux ?
Le géochimiste prélève ces fluides de haute température, analyse leur composition chimique à leur émission sur le plancher océanique et reconstruit leur histoire au cours de la circulation hydrothermale. L’objectif est de comprendre les processus thermodynamiques et géochimiques qui les contrôlent au cours du transit au travers de la croûte océanique.
Les chimistes évaluent l’influence des fluides hydrothermaux sur le cycle des éléments dans l’océan et plus généralement sur la chimie globale des océans à court et long terme. La présence de nouveaux écosystèmes se développant par chimiosynthèse sur ces évents hydrothermaux intéresse également les biologistes. En effet, dans ce processus, l’ensemble des éléments vitaux ont la particularité d’être apportés par le fluide (soufre, méthane, hydrogène, hydrogène sulfuré et autres éléments métalliques). Par ailleurs, les flux de matière et d’énergie apportés par les fluides jouent aussi un rôle important du point de vue de la physique océanographique. Enfin, l’étude de la chimie des fluides permet aux géologues d’estimer la profondeur de la chambre magmatique et de mieux comprendre la formation de la nouvelle croûte océanique et des dépôts sulfurés massifs.
Comment étudier les fluides hydrothermaux ?
Les évents hydrothermaux sont localisés sur des sites plus ou moins grands, d’une superficie d’environ 200 mètres carré. Pour les découvrir, plusieurs techniques complémentaires sont utilisées.
Dans un premier temps, les campagnes de surface associant la bathymétrie, la photographie du fond, la recherche d’anomalies physiques et chimiques dans la colonne d’eau à l’aide de capteurs et prélèvements d’eaux, permettent de délimiter les zones.
Dans un second temps, les submersibles et véhicules téléopérés (ROV) permettent la localisation précise des évents et leur étude in-situ détaillée. Aujourd’hui, divers systèmes existent pour prélever ces fluides. Ils sont tous basés sur des principes d’aspiration simple (type seringue) ou nécessitent l’utilisation d’un système de pompage. Le fluide étant à une température de l’ordre de 350-400°C, des seringues en titane sont couramment utilisées. Le géochimiste doit conditionner ces préleveurs avant chaque plongée. Le submersible ou le ROV se charge du prélèvement en profondeur dans les zones actives étudiées. Au retour sur le navire, le fluide précieux est récupéré. Commence alors un long travail de conditionnement des gaz et d’analyse à bord.
Après qualification des échantillons, les gaz (H2, CH4, CO2,….) sont extraits à l’aide d’un extracteur de gaz, récupérés et analysés à bord à l’aide d’appareils analytiques installés dans un container laboratoire embarqué. Certains éléments minéraux (Mg, SO4, Cl) sont aussi analysés à bord. Dans ces fluides, certains éléments sont enrichis, d’autres appauvris par rapport à l’eau de mer.
De nombreux conditionnements spécifiques sont aussi réalisés pour l’analyse à terre des éléments traces, les analyses isotopiques et la recherche des molécules organiques présentes (hydrocarbures, acides carboxyliques, acides aminés,….). La composition chimique d’un fluide sortant sur le plancher océanique est un enregistrement des conditions de pression et de température et de l’ensemble des réactions chimiques qu’il a subi durant son transit dans la croûte océanique fracturée. L’ensemble de ces données informe sur la profondeur de la circulation hydrothermale dans le substratum, sur le temps de résidence, et contribue à comprendre le mode de formation des dépôts sulfurés associés. L’ensemble de ces conditionnements et des analyses permettent d’établir la signature chimique du fluide, de connaître son histoire au travers de la croûte océanique et d’évaluer les conséquences de ces flux sur le milieu environnant.
Conditionnement des gaz et analyse à bord
Serpentine 2007
Quels sont les processus qui contrôlent la composition chimique des fluides ?
Les fluides hydrothermaux sont émis sous forme d’évents de haute température (350 à 400°C) et sous forme de diffusions de basse température (de quelques dizaines de degrés). Le taux de réaction de l’eau de mer avec la roche sera d’autant plus fort que la différence de température est élevée. Au vu des travaux expérimentaux et des résultats de modélisation thermodynamique, il est admis que l’équilibre entre l’eau et les minéraux des roches est atteint au niveau de la zone de réaction.
Le processus de séparation de phases intervient dès lors que le fluide salé est soumis à des températures et des pressions fortes. Les scientifiques savent aujourd’hui que le point critique de l’eau de mer est caractérisée par une pression de 298 bars et une température de 405°C. En fonction de la distance par rapport à ces valeurs, le fluide sera classé en domaine subcritique ou en domaine supercritique. Dans ces 2 domaines, le fluide aura des propriétés thermodynamiques et chimiques très différentes. C’est pourquoi des fluides aux compositions très variées ont été collectés sur les dorsales médio-océaniques (Pacifique, Atlantique, Indien) à différentes profondeurs (de quelques centaines de mètres à plus de 4000m), tel sur le site Ashaze, site hydrothermal le plus profond connu à ce jour, étudié et échantillonné avec succès au cours de cette campagne franco-russe Serpentine (Mars 2007).
Ces fluides hydrothermaux évoluent ils dans le temps ?
Dans les années 1975 (peu après la première découverte de fluides sur la dorsale des Galapagos), les scientifiques considéraient que les fluides avaient une composition relativement stable. Depuis, grâce à la découverte progressive de nouveaux sites actifs dans des conditions d’émission variées et des environnements tectoniques et géologiques différents, les chercheurs ont mis en évidence que les fluides hydrothermaux présentent des compositions chimiques très variables.
En effet, ces compositions peuvent changer d’une zone à l’autre ou même d’un évent à un autre sur un même site. Ils peuvent également rester stables sur des périodes plus ou moins longues (de l’ordre d’une dizaine d’années) ou évoluer lentement ou brutalement dans le temps.
Les fluides hydrothermaux sont contrôlés par l’activité tectonique et volcanique qui peut faire varier et évoluer leur composition. Ainsi, les éruptions volcaniques et les tremblements de terre ont une incidence sur la température, la composition chimique des fluides. Cela crée des flux de matière et d’énergie rejetés plus ou moins intensément dans la colonne d’eau environnante.
En un site actif donné par exemple, la composition chimique d’un fluide peut varier sous l’influence des variations thermodynamiques telle la séparation de phase contrôlée par la pression et la température, d’épisodes tectoniques et volcaniques, ou rester stable durant une longue période, favorisant dans ce cas l’installation progressive d’habitats de communautés biologiques et bactériennes se développant par chimiosynthèse.
Sur les dorsales à taux d’accrétion élevé (> 12 cm/an, cas de la dorsale Est Pacifique), les mouvements lents progressifs menant à une fracturation de la croûte associés aux événements magmatiques brutaux font varier très rapidement la composition des fluides dérivés ici d’une réaction entre l’eau de mer et la croûte basaltique.
En revanche, sur les dorsales lentes comme la dorsale médio-Atlantique, les fluides sont davantage contrôlés par les mouvements tectoniques. Ils auront donc tendance à être plus stables dans le temps. Mais l’eau de mer, en descendant plus en profondeur, va atteindre et pouvoir réagir avec les roches (péridotites) du manteau et donner lieu à la réaction dite de « serpentinisation » en produisant des fluides de composition très originale.