Microorganismes piézzophiles
Egalement appelés barophiles (aimant la pression), les microorganismes piézzophiles constituent l’un des sous-ensembles des extrêmophiles (vivant dans des conditions extrêmes). Ils peuplent les grands fonds sédimentaires des plaines océaniques et des fosses abyssales, où les températures varient de 2 à 4°C. Entre 0 et 2000 mètres, sont surtout rencontrées des espèces psychrophiles barotolérantes (inféodées aux basses températures qui règnent au fond des océans et capables de se développer depuis la pression atmosphérique jusqu’aux pressions des sites de prélèvement). Au delà des 6500 mètres commence le domaine des psychro-piézzophiles obligatoires (microorganismes directement inféodés à la pression). Entre ces deux profondeurs, les microorganismes ont des comportements variables en réponse à la pression, baro-tolérants pour certains, barophiles stricts à certaines températures pour d’autres.
Souche Thermococcus barotolerans, isolée à partir d’un échantillon de roches de Snake Pit, sur la ride médio-atlantique
Profondeur : 3550 mètres - campagne MAR93
Les sources hydrothermales océaniques profondes offrent aux microorganismes des conditions extrêmes, à la fois de température, de pression et de composition de fluides. Plusieurs études ont déjà relaté des cultures d’isolats de microorganismes hyperthermophiles (ayant un optimum de croissance au delà de 80°C) à des pressions élevées à partir d’échantillons collectés sur les sources hydrothermales. Toutefois, pour la plupart des souches issues de profondeurs voisines de 2000 mètres, il n’a pas été démontré de barophilie pour des conditions correspondant à la pression in situ.
Les baro-hyperthermophiles connues à l’heure actuelle sont issues de sites dont les profondeurs sont supérieures à 2000 mètres. Ainsi, la souche Thermococcus barotolerans a été isolée à partir d’un échantillon de roches collecté sur le site Snake Pit, sur la ride médio-atlantique par 3550 mètres de profondeur au cours de la campagne MAR93.
Cette souche, dont la température maximale de croissance à pression atmosphérique est de 95°C, est capable de se développer entre 95 et 100°C, dès lors qu’elle est repressurisée à 15-17 Mpa. Son optimum de croissance est de 85°C, qu’elle soit à pression atmosphérique ou à 44 Mpa. Toutefois, sa vitesse de croissance est plus de deux fois supérieure à haute pression qu’à pression atmosphérique. Cette souche s’avère donc barotolérante en dessous de 95°C et barophile stricte ou obligatoire entre 95 et 100°C.
La campagne Serpentine a pour cible les sources hydrothermales les plus profondes connues, et constitue une occasion unique pour collecter des échantillons de roches, de fluides et d’animaux à des profondeurs inégalées. En particulier, le site le plus profond actuellement connu au monde Ashadze (ride médio-atlantique), revêt un intérêt évident pour poursuivre ces travaux et rechercher de nouveaux piezzo-hyperthermophiles.
Les échantillons seront ramenés à bord à la pression atmosphérique, puis conditionnés en fonction de leur tolérance à l’oxygène et remis en bouteille pressurisée à la pression équivalent à celle du site de prélèvement. Ils sont ensuite stockés à 4°C en vue de cultures ultérieures à terre.
Les échantillons seront à nouveau dépressurisés, puis serviront à inoculer des milieux de culture sélectifs (adaptés) pour différents groupes de microorganismes, et mis en culture à des températures et des pressions variées. La diversité microbienne présente au début des cultures sera analysée. Au terme des expériences, une ou plusieurs souches nouvelles seront isolées et caractérisées.
Quel intérêt pratique peuvent avoir ces microorganismes ?
Du fait des conditions extrêmes de développement, il s’avère que leurs enzymes sont thermostables et aptes à fonctionner dans des réacteurs sous pression. Il est donc tentant de les utiliser dans des procédés industriels, où certaines étapes requièrent des températures et des pressions élevées, notamment pour l’obtention de produits à forte valeur ajoutée, issus aujourd’hui de la chimie fine.