Synthèse d'hydrogène, de méthane et d’hydrocarbures dans les grands fonds, vers de nouvelles ressources énergétiqes…
Anomalies de méthane et serpentinisation
Depuis une dizaine d’années, les géochimistes s’intéressent aux interactions de l’eau de mer avec les roches du manteau le long des dorsales lentes médio-océaniques, et en particulier le long de la dorsale médio-Atlantique. En effet, les travaux exploratoires menés sur ces zones, notamment par le Laboratoire Géochimie et Métallogénie de Ifremer, montrent que les nombreuses anomalies de méthane observées le long de l’axe de la dorsale sont étroitement liées à la présence d’affleurements de roches du manteau sur les sommets et les murs du rift et à proximité du plancher océanique dans la vallée axiale. Cette association est une conséquence du processus d’hydratation des roches du manteau par réaction avec l’eau de mer. Les mouvements tectoniques provoquent en effet une fracturation de la croûte permettant une pénétration de l’eau de mer jusqu’au manteau. La réaction de l’eau de mer avec les roches « péridotites » du manteau, processus appelé serpentinisation, entraîne alors une augmentation de volume des roches, les repoussant physiquement à l’affleurement, accompagnée de réactions chimiques aux conséquences importantes.
Exemple de composition des gaz dans le fluide de Rainbow (36°14’N-MAR).
Dans les 2 cas (photo du haut et ci-dessus), l’hydrogène est produit en très grande quantité par serpentinisation.
Des minéraux mantelliques au pétrole
En présence d’eau, l’olivine et/ou le pyroxène, minéraux principaux du manteau, sont oxydés durant le processus de serpentinisation. Cette réaction exothermique peut induire localement un excès de chaleur d’une centaine de degrés. L’eau est réduite à l’état d’hydrogène moléculaire et le Fer(II) oxydé en Fe(III) sous forme de magnétite. L’hydrogène, produit en grande quantité lors de la réaction de serpentinisation, réagit ensuite avec le CO2 (libéré des minéraux et présent dans l’eau de mer) pour générer d’abord du méthane, puis des hydrocarbures plus lourds (hydrocarbures à chaîne linéaire, hydrocarbures aromatiques, acides gras,…). Ce phénomène se produit selon une réaction catalysée par des éléments présents et enrichis dans les roches du manteau tels que le nickel, le cobalt et le chrome.
Ce procédé est bien connu : il est utilisé actuellement dans l’industrie pour réaliser du pétrole synthétique. Ce type de réaction catalytique effectuée à haute pression et haute température, montre ainsi qu’il est possible de synthétiser des molécules organiques d’origine abiotique à partir des minéraux présents dans le manteau terrestre.
De l’observation à la modélisation, des études scientifiques complémentaires
Afin de comprendre ce processus naturel et estimer les quantités d’hydrogène, de méthane et d’hydrocarbures formés, trois domaines d’étude coexistent. Tout d’abord, les travaux des océanographes fournissent les données de terrain par l’exploration, les mesures, l’étude des phénomènes en mer et l’analyse des échantillons naturels.
En laboratoire, d’autres expérimentations sont réalisées : les chercheurs font notamment interagir des péridotites avec de l’eau de mer en présence de différents catalyseurs à haute pression et haute température. Cela permet de mieux comprendre les mécanismes réactionnels.
Enfin, la modélisation thermodynamique, prenant en compte l’ensemble des réactions chimiques possibles dans ce milieu, permet de prédire les espèces chimiques – minérales et organiques synthétisées dans ce contexte hydrothermal et d’orienter les recherches in situ.
Vers de nouvelles ressources énergétiques
La Terre possèderait donc une source naturelle d’hydrogène et de gaz autre que celle dérivée de l’enfouissement et de la maturation de la matière organique dans les bassins sédimentaires… En effet, du pétrole d’origine inorganique a déjà été détecté dans les environnements mantelliques des dorsales médio-océaniques à l’état de traces.
Quelles sont les quantités d’hydrogène et de gaz générées à partir du minéral par voie abiogénique ? Une exploration continue des dorsales lentes et une connaissance approfondie des grands fonds seront nécessaires pour établir des premières estimations. Le devenir des gigantesques émissions d’hydrogène et de méthane issues de la serpentinisation sur les dorsales lentes médio-océaniques et leur transformation dans le milieu océanique sont des sujets d’étude d’autant plus intéressants que les sources de pétrole diminuent et l’identification de nouvelles ressources énergétiques est de plus en plus difficile.
Reste également à comprendre et découvrir les domaines réactionnels les plus favorables à leur synthèse dans ce milieu naturel. Par ailleurs, les prochaines années d’exploration permettront aux scientifiques de vérifier si des gaz hydrates congelés existent également sur les flancs sédimentés des dorsales lentes, comme ceux déjà découverts sur les marges continentales sédimentées. Cette hypothèse est posée du fait des conditions de pression et température, de la présence d’une convection hydrothermale entraînant la circulation d’eau au travers de la croûte fracturée associée à une production intense de méthane par serpentinisation.