Les organismes associés à l’hydrothermalisme profond : la faune des sources des dorsales Pacifique et Atlantique.
Les sources hydrothermales ont été découvertes à la fin des années 70 dans le Pacifique. Depuis, elles ne cessent de surprendre les scientifiques… En effet, sur une faible surface autour des émissions de fluide chaud, vit une faune originale et exubérante constituée d’un nombre réduit d’espèces qui, au travers de l’évolution biologique, se sont adaptées à un milieu a priori hostile à la vie.
Comment la vie est elle possible dans ces milieux extrêmes ?
Ces oasis de vie dans le désert abyssal reposent entièrement sur la production bactérienne qui utilise des composés contenus dans le fluide pour produire de la matière organique. Si loin de la surface, la lumière du jour ne pénètre pas et les végétaux, à la base des chaînes alimentaires partout ailleurs sur le globe, ne peuvent y vivre. Bien que très riche, ce milieu est aussi très contraignant de par la présence de composés toxiques dans les fluides. La température atteint 350˚C dans le fluide, mais les animaux vivent dans les zones où elle varie entre 3 et 50˚C en fonction de la distance par rapport à la sortie de fluide (la température abyssale à ces profondeurs est de 2˚C environ).
Les larves, maintien du peuplement des sources hydrothermales
A ce jour, une centaine de champs hydrothermaux ont été explorés dans l’océan mondial et seules 600 espèces issues de ces milieux ont été capturées et décrites. Les grands groupes d’animaux rencontrés au niveau des sources hydrothermales existent également dans d’autres zones de l’océan. Par exemple, les modioles, espèce spécifique des sources hydrothermales, sont voisines des moules de nos côtes. Mais, les modioles se rencontrent uniquement au niveau des sources hydrothermales, et n’existent pas même en milieu abyssal non hydrothermal.
Les scientifiques ont cependant remarqué qu’en dépit des grandes distances qui les séparent, les espèces hydrothermales se ressemblent beaucoup d’un site hydrothermal à un autre, et même d’un océan à un autre. Les adultes de ces espèces, fixés ou peu mobiles, étant incapable de parcourir de grandes distances, les peuplements des sources hydrothermales sont donc maintenus le long des rides uniquement grâce aux larves émises dans la colonne d’eau. De plus, les sources étant éphémères et leur tarissement provoquant l’extinction des communautés qui y sont associées, la survie de ces communautés dépend grandement de la capacité des larves à atteindre d’autres sites actifs sous l’action des courants. Ainsi, la colonisation d’une dorsale se fait de proche en proche le long de la vallée axiale, comme l’on traverse une rivière en sautant sur les pierres d’un gué. Des barrières physiques se dressent parfois et limitent cette dispersion. On comprend donc que les communautés de sources proches se ressembleront plus que celles de sources plus éloignées.
Les barrières à la dispersion larvaire
Plusieurs phénomènes peuvent entraver la dispersion larvaire. Par exemple, les failles interrompant la vallée axiale des dorsales sont fréquentes et perturbent la circulation des courants qui transportent les larves. Il existe aussi des seuils empêchant la circulation des masses d’eau profonde. De plus, la dérive des continents peut interrompre les échanges larvaires. Les populations ainsi isolées vont alors évoluer indépendamment et éventuellement former de nouvelles espèces. Il y a 28 millions d’années par exemple, la dorsale du Pacifique Oriental a été coupée par la plaque Nord Américaine, ce qui a conduit à une interruption des échanges de larves entre la dorsale Est Pacifique et les rides de Juan de Fuca et Explorer, au Nord. C’est pourquoi on retrouve dans les communautés des deux dorsales de nombreuses espèces voisines qui ont divergé depuis la séparation physique. De la même façon, la fermeture progressive de l’isthme de Panama, il y a plus de 5 millions d’années, a isolé la faune hydrothermale Pacifique de celle de l’Atlantique. Seul le passage par l’océan Indien et l’océan Austral est donc possible pour les larves voyageant entre le Pacifique et l’Atlantique.
Les communautés de la dorsale médio-Atlantique et de la dorsale du Pacifique
Les communautés des deux dorsales n’ont pas d’espèces communes. Cependant, certaines espèces sont proches, notamment les moules Bathymodiolus thermophilus (Pacifique) et Bathymodiolus azoricus (Atlantique). En comparant ces deux communautés à celles des sources hydrothermales de l’océan Indien, les scientifiques ont montré que les espèces présentes au niveau des sources de l’océan Indien sont plus proches de celles de l’Atlantique. Cela suggère que la migration a eu lieu par l’océan Indien et non directement entre le Pacifique et l’Atlantique.
Parmi les communautés des sources hydrothermales de la dorsale médio-atlantique, on note la présence de différentes espèces de modioles (Bathymodiolus azoricus et Bathymodiolus puteoserpentis) et de nombreux essaims de crevettes aveugles (Rimicaris exoculata) autour des cheminées. En revanche, les grands vers siboglinidés sont absents de cette communauté.
La faune des sources hydrothermales de la dorsale du Pacifique Oriental est certainement la mieux connue. On y rencontre majoritairement des grands bivalves (moules Bathymodiolus thermophilus), des grands clams blanc Calyptogena magnifica (pouvant atteindre 30 cm de long), des vers siboglinidés, dont l’emblématique Riftia pachyptila (le « ver géant » pouvant atteindre 1,5 mètres de long et 5 cm de diamètre), et des vers de Pompéi vivant sur la surface des cheminées. Les bivalves et les vers siboglinidés vivent en symbiose avec des bactéries qui leur procurent une nutrition abondante et leur permettent de croître rapidement. Dans ce milieu aussi instable, une forte croissance permet aux espèces hydrothermales d’atteindre une maturité sexuelle rapidement, ce qui est essentiel pour leur survie.